C’est l’honneur de notre temps. On a créé des règles d’art là où il n’y avait que des lois de nature. Les sentiments naturels des hommes ont subi les mêmes déformations : le sentiment de la conservation personnelle est devenu l’égoïsme féroce, celui de la conservation de l’espèce l’hérédité de la domination d’une famille ou d’un groupe d’hommes unis pour les mêmes intérêts. L’homme qui était le seul sujet est devenu un élément de la société et c’est au nom de la société que l’homme disparaît; le sentiment de l’humain est par le raisonnement transformé en groupes qui se combattent et le désir légitime de connaître la terre en conquêtes et rapines. L’image est un élément précieux de vulgarisation d’opinions. S’il faut un sens juste pour s’élever à la compréhension de l’art vrai, l’imagerie conquiert tous les cerveaux. Aussi la première idée d’une opinion qui veut devenir triomphante c’est de déformer l’art à son profit et voici l’imagerie religieuse, politique, et même sociale. L’homme est ainsi de plus en plus éloigné de ses sources d’émotions. Ses besoins essentiels sont si limités, ses sentiments réels si immuables que sur le terrain il offre peu de prise à l’exploitation. Aussi bien crée-t-on les besoins de luxe ou misérables, de cœur et d’esprit, il se montrera vaniteux et bien vêtu dans des maisons trop vastes mais qu’il remplira par servitude. Il sera constamment distrait, c’est à dire éloigné de lui-même, il ne faut pas qu’il puisse se reprendre pour que le fourbe le garde.
L’art d’une démocratie consiste donc à pénétrer l’homme du sentiment de la nature humaine. L’homme qui se trompe sur une chose essentielle se trompe sur toutes et quelle erreur plus profonde que de séparer les choses, quel plus misérable état que celui de la division des manifestations de la pensée. Si les artistes du passé étaient peintres, architectes, sculpteurs, etc… c’est parce qu’ils obéissaient au sentiment d’unité qui les dominait. Dans des apparences différentes ils continuaient la recherche des mêmes lois, se fortifiaient dans la forme dominante de leur expression.