« Carrière aussi demanderait une longue étude. Au Salon du Grand Palais, très enveloppée, très sombre, avec une sensation émouvante d’intimité et de mystère, en cinq belles toiles, sa pensée vient à nous, haute, profonde, sûre.
Il n’y a rien à dire, si l’on n’a que quelques lignes à remplir, des quatre études qui sont là. Le peintre y a été égal à lui-même, il a su dégager l’idée vivante incarnée en chacune des formes traduites. Une tête de jeune femme au sourire ironique et tendre, lointaine petite-fille de Léonard, plus près de nous par sa douceur et son rêve que nous comprenons mieux, m’a charmé entre toutes. Mais il faudrait simplement se taire et contempler: voici la grande toile, magnifique expression de cette humaine pose morale dont le maître nous fixe depuis si longtemps, en un élan si pur, en une forme si sincère et si définitive, les longues et fortes étapes. Cette année, c’est le Baiser du soir. Tandis qu’elle allaite le dernier-né, la mère, splendide, distribue à la troupe des enfants adorables le baiser qui va sacrer leur nuit. Le crépuscule ennoblit, enveloppe, solennise la scène. Un dernier rayon flotte sur les épaules, sur les seins nus de la nourrice, et met des blancheurs légères au visage de l’enfançon. Un immense bien-être, une beauté, une paix de vivre se dégage du beau groupe vivant. La plénitude d’aimer transfigure, on le sent, l’âme simple et pourtant héroïque de cette mère embrassant ses enfants. Devant une telle toile, on ne songe plus seulement à la grâce des lignes, à la noblesse des couleurs; quelque chose de plus grand que l’habitude entre dans l’être qui contemple, on sent vivre une des heures de l’humanité. »
Joachim Gasquet